Critique : « Immunité et autres mirages futurs », de Philip K. Dick

Quatrième de couverture : Demain… les robots, bien plus performants que l’humain moyen, nous auront supplantés. Nous serons persécutés par des mutants télépathes. Nous deviendrons les esclaves de la publicité. Demain nous perdrons notre libre arbitre. Si toutefois nous survivons au grand cataclysme… Tels sont les avenirs pessimistes imaginés par l’esprit paranoïaque de Philip K. Dick. Ces nouvelles, dont les thèmes sont depuis devenus des classiques du genre, prennent sous la plume du Maître une saveur particulière. La question «Et si ?», chère aux amateurs d’anticipation, se pare ici de son sens le plus noir et le plus inquiétant.

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Philip K. Dick nous a quittés il y a quarante ans. Pourtant, il n’a jamais été aussi présent dans la culture populaire qu’aujourd’hui. L’œuvre immense qu’il nous a laissée et les nombreuses adaptations audiovisuelles (Blade RunnerTotal RecallPlanète hurlanteThe Truman ShowMinority ReportPaycheckNextPassengersThe Man in the High CastleBlade Runner 2049, etc…) dont elle a fait l’objet ont durablement marqué l’imaginaire collectif. Intelligence artificielle, transhumanisme, simulacres… Par bien des aspects, nous vivons au cœur d’un roman de PKD, dont les questionnements métaphysiques restent d’une actualité brûlante. Il s’agit donc moins de fêter l’anniversaire de sa mort que de célébrer la vie et la carrière prolifique d’un génie visionnaire dont la trajectoire littéraire est enfin reconnue à sa juste valeur.

Immunités et autres mirages futurs (recueil de 11 nouvelles) :
1. Le Crâne (The Skull, 1952)
2. Le Grand O (The Great C, 1953)
3. James P. Crow (James P. Crow, 1954)
4. Service avant achat (Sales Pitch, 1954)
5. Le Tour de roue (The Turning Wheel, 1954)
6. Reconstitution historique (Exhibit Piece, 1954)
7. Immunité (Immunity / The Hood Maker, 1955)
8. Là où il y a de l’hygiène… (The Chromium Fence, 1955)
9. Expédition en surface (A Surface Raid, 1955)
10. Consultation externe (Psi-Man Heal My Child!, 1955)
11. Au service du maître (To Serve the Master, 1956)

Un bon petit recueil, avec des hauts et des bas comme toujours, mais plutôt agréable à lire dans l’ensemble.

Quelques-unes de ces nouvelles traitent de dimensions parallèles et de voyages dans le temps, et ayant vu le documentaire sur lui récemment, j’ai pu faire le lien avec ce que vivait et pensait l’auteur sur pas mal de ces nouvelles, ce qui m’a apporté un plus non négligeable lors de cette lecture.

Ce recueil a une composante kafkaïenne assez prononcée : l’absurdité des comportements humains y est souvent poussée à l’extrême.

Le Crâne : je l’ai beaucoup aimée, le recueil commence très fort en proposant cette nouvelle en premier, la boucle temporelle est bouclée et c’est un paradoxe fascinant !

Le Grand O : à la fois amusante et désespérante, ce qui est quand même très fort, il faut le dire. J’aime beaucoup les nouvelles de Dick, il a une capacité à décrire et mettre en place un monde en quelques lignes assez époustouflante. Ici, c’est post-apocalyptique (comme pas mal des nouvelles de ce recueil), et les descriptions sont suffisantes pour se faire une bonne idée du mode de vie et des contraintes de cette tribu du futur.

James P. Crow : Excellente nouvelle sur un monde dominé par les robots et dans lequel un grain de sable humain vient mettre le binz ! Est-ce pour un meilleur avenir de ses contemporains ? Là est la question !!! Gnerk gnerk…

Service avant achat : ici, l’auteur pousse les raisonnements publicitaires jusqu’au bout du bout de ce qu’il pourrait être possible de faire. Et je vous jure que ça donne envie de « tout péter » !!! Cependant, le petit laïus de Dick avant la nouvelle, comme quoi sa fin est ratée, est assez justifié. Mais je ne suis pas sûre que l’autre fin dont il parle aurait été plus réussie, j’ai comme un doute…

Le tour de roue : une nouvelle que je n’ai pas tellement appréciée. À cause de son fond. Il sous-entend quelque part qu’une civilisation humaine dont le développement serait basé sur les cultures en harmonie avec la nature et ayant une spiritualité très développée (Indiens, Mongols, etc…) serait tellement sous-développée technologiquement qu’elle ignorerait ce que sont les médicaments et mépriserait la technique. Du moins, c’est comme ça que je l’ai entendue, j’ai peut-être tort.

Reconstitution historique : je l’ai bien appréciée, celle-là ! J’ai beaucoup aimé la psychologie du personnage principal, son besoin de rêve et d’évasion, et comment « plus dure sera la chute » quand il se rend compte que la réalité est beaucoup moins rose qu’il le pensait. C’est une nouvelle en lien direct avec les communications entre dimensions parallèles ou entre les temps futurs et anciens, sujet récurrent chez Dick.

Immunité : une nouvelle assez banale, ici, convenue et un brin décevante.

Là où il y a de l’hygiène… : la plus kafkaïenne du recueil, avec la stupidité de l’être humain poussée à son paroxysme… Ils se bouffent le nez en famille et s’entre-tuent pour une question d’hygiène (devenue politique), c’est complètement absurde et dramatique. Mais on s’y retrouve bien, finalement…

Expédition en surface : une nouvelle très intéressante sur la Terre après une apocalypse nucléaire. Certains humains se sont réfugiés sous terre et gardent toutes les avancées technologiques et ont évolué en conséquence, d’autres ont survécu en surface en les perdant et ont évolué en conséquence. La conclusion est amusante, malgré un fond pessimiste…

Consultation externe : intéressante par le fond, qui veut que les êtres humains au pouvoir sont très éloignés des gens du commun, et en reviennent toujours aux mêmes leitmotivs névrotiques consistant à préférer sacrifier des millions de « chairs à canon » plutôt que d’admettre avoir tort en voulant la guerre, même en étant avertis par des gens venus du futur de la destruction quasi totale que ça engendrera. ça rejoint d’assez près mon dernier Bordage, L’ange de l’abîme. Glaçant, énervant, et tutti quanti.

Au service du maître : convenue et classique, on n’a pas de surprise, je pense qu’il aurait mieux valu finir sur la précédente, et mettre celle-ci vers le milieu du recueil.

Un recueil très agréable à lire, malgré quelques faiblesses de scénario par moments.

Note : 8 sur 10.

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