Critique : « Nous allons tous très bien, merci », de Daryl Gregory

Quatrième de couverture : Il y a d’abord Harrison qui, adolescent, a échappé à une telle horreur qu’on en a fait un héros de romans. Et puis Stan, sauvé des griffes d’une abomination familiale l’ayant pour partie dévoré vif. Barbara, bien sûr, qui a croisé le chemin du plus infâme des tueurs en série et semble convaincue que ce dernier a gravé sur ses os les motifs d’un secret indicible. La jeune et belle Greta, aussi, qui a fui les mystères d’une révélation eschatologique et pense conserver sur son corps scarifié la clé desdits mystères. Et puis il y a Martin, Martin qui jamais n’enlève ses énormes lunettes noires… Tous participent à un groupe de parole animé par le Dr Jan Sayer. Tous feront face à l’abomination, affronteront le monstre qui sommeille en eux… et découvriront que le monstre en question n’est pas toujours celui qu’on croit…

Nous allons tous très bien, merci, roman finaliste des plus grands prix littéraires du domaine — Nebula, Locus, Theodore Sturgeon et World Fantasy —, lauréat du prestigieux Shirley Jackson Award, est actuellement en cours d’adaptation par Wes Craven en série télévisée. Il s’agit du second livre de Daryl Gregory publié en France après L’Éducation de Stony Mayhall.

Né en 1965 à Chicago, Daryl Gregory fait voler en éclats la frontière des genres depuis une dizaine d’années, inventant un « sous-texte pop culture » résolument inédit, entre SF, roman noir horrifique et fantasy, aussi bien dans ses romans qu’à travers ses scénarios de comics. En France, on lui doit le très remarqué L’Éducation de Stony Mayhall (Le Bélial’, 2014), Nous allons tous très bien, merci (Le Bélial’, 2015), qui a reçu le prix World Fantasy du meilleur roman court et le prestigieux Shirley Jackson Award, et After Party (Le Bélial’, 2016).

Détails techniques :

Fantastique / Terreur

Editeur : Tachyon Publications (anglais, 2014) / Bélial’ (2015) / Pocket SF (2017)

200 pages (broché) : 16 € / 192 pages (poche) : Numérique : 7,99 €

A obtenu les Prix World Fantasy (Novella / Court roman, 2015) et Shirley Jackson (Novella / Court roman, 2014).

Le docteur Jan Sayer a réuni un groupe de parole un peu particulier. En effet, tous ses patients ont subi des traumatismes atroces, victimes de crimes dignes des pires films d’horreur. Greta, seule survivante d’une secte dont les membres lui ont entièrement scarifié le corps. Stan, l’homme-tronc, a subi la voracité d’une famille de cannibales. Les os de Barbara ont été sculptés par un tueur en série. Lorsqu’il était adolescent, Harrison a échappé à l’horreur de Dunnsmouth. Quant à Martin, il ne peut enlever ses étranges lunettes noires qui, selon lui, lui permettent de voir les horreurs qui se cachent derrière la réalité…  

C’est peu de dire que je ne suis pas un spécialiste des films d’horreur. À part quelques classiques (je n’ai rattrapé Massacre à la tronçonneuse que tout récemment) et certains incontournables, je ne suis pas porté par le genre horrifique (au cinéma comme dans les bouquins d’ailleurs). J’ai remarqué que, dans les films américains, le personnage principal (quand il s’agit d’une femme, c’est encore plus fort), qui vient de passer quatre-vingt-dix minutes à échapper à un horrible tueur en série sadique, se retrouve souvent à l’arrière d’une ambulance, une couverture sur les épaules, recevant une parole compatissante ou une tape sur l’épaule de la part d’un policier en uniforme. L’infirmier referme alors la porte du véhicule, l’ambulance s’en va. Fin du film. Mais que se passe-t-il après ? On ne sait pas (bon, en fait, si le film a cartonné au box office, on a droit à une suite). Que deviennent les victimes des tueurs en série, des cannibales, des monstres de tous poils ? C’est à ces questions légitimes que répond Daryl Gregory avec ce Nous allons tous très bien, merci. Sous ce titre ironique se cache la dure réalité d’une thérapie de groupe d’un genre particulier, donc, mais aussi la difficulté de se livrer au regard d’autrui. Avec un « Nous » qui soude un groupe, même si ce n’était vraiment pas gagné d’avance. Car si chacun met en place des stratégies d’évitement (Stan et sa logorrhée verbale, Gloria son mutisme, Martin ses lunettes noires, Barbara sa compassion et Harrison son grand sens de la dérision), tous finiront par trouver la voie (la voix ?) vers la compréhension de ce qui leur est arrivé. Car, en même temps que le lecteur, ils découvriront que leurs histoires sont peut-être liées, imbriquées dans un grand tout qui, à première vue, semble les dépasser.

Hommage au genre (sous ses différentes formes), Nous allons tous très bien, merci lorgne tout autant sur des films comme Massacre à la tronçonneuse (Tobe Hooper, 1974) ou des œuvres littéraires comme Le Cauchemar d’Innsmouth, de H.P. Lovecraft. La grande force (mais aussi peut-être, paradoxalement, sa plus grande faiblesse) de ce roman tient dans sa brièveté. En cent quatre-vingts pages seulement, Daryl Gregory parvient à donner à voir toute l’horreur de la barbarie (in)humaine. Et parce que chaque personnage a voix au chapitre, tous sont importants. Par un cheminement plus ou moins détourné, chacun exposera son témoignage, son vécu, son traumatisme. Grâce à un scénario très malin, l’auteur américain expose son intrigue par petites pièces d’un puzzle que le lecteur se délectera de remettre en place. Malheureusement, on pourra quand même regretter le manque de profondeur de certains backgrounds, qui sont parfois juste évoqués. C’est le cas pour Harrison Harrison (dit Harrison Au Carré), dont on sait juste que l’ado qu’il était a échappé à l’horreur dans une petite ville côtière (on le surnomme le « tueur de monstres »). Outre le clin d’œil lovecraftien assez explicite, c’est aussi une mise en abyme littéraire. Les « aventures » de ce « héros » se retrouvent dans un roman en cours d’adaptation en série par la chaîne SyFy. Or le vrai roman de Daryl Gregory, Harrison Squared, était en cours d’adaptation (pour SyFy !), par l’un des grands maîtres de l’horreur, Wes Craven (décédé en août 2015). Certes, cela donne très envie de lire le roman du jeune Harrison, mais en attendant c’est quelque peu frustrant, surtout pour un lecteur qui ne lit pas en V.O., vu qu’aucune publication française ne semble pour le moment prévue, à moins que Le Bélial’ n’ouvre une collection Young Adult.

Que ce tout petit bémol ne vous empêche surtout pas de vous précipiter sur ce petit bijou, servi par une écriture aussi précise et incisive qu’une lame de scalpel. Ce court roman (ou novella, au choix) est complété d’une interview où Daryl Gregory nous livre quelques secrets de fabrication.

À signaler la magnifique couverture signée par le désormais incontournable Aurélien Police. Aux Utopiales 2015, Daryl Gregory me confiait que cette illustration faisait partie de ses préférées parce qu’elle s’approchait au mieux de ce qu’il avait en tête.

Note : 8 sur 10.

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