Critique : « Le Nomade du Temps », de Michael Moorcock

Quatrième de couverture : Soldat de Sa Majesté en mission au Kumbalari, un État limitrophe du Tibet, le capitaine Oswald Bastable survit à un tremblement de terre pour se retrouver inexplicablement projeté depuis 1902 dans le futur : un 1973 alternatif où les dirigeables des Grandes Puissances imposent une paix forcée à l’ensemble du monde. Mais la révolte gronde et, guidé par la mystérieuse Una Persson, Bastable va devoir interroger ses certitudes pour choisir le bon camp ; un choix qui pourrait le conduire à errer sans fin à travers le multivers, à visiter mille destinées possibles d’un siècle de sang.
Avec Le Nomade du Temps, qui préfigurait une bonne partie du mouvement steampunk, l’auteur d’Elric le nécromancien nous offrait une nouvelle déclinaison de son Champion Éternel, cette fois confronté aux guerres idéologiques du XXe siècle. Réflexion, aventure et rebondissements sont donc au rendez-vous.

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Michael Moorcock est né à Londres en 1939, à temps pour voir les bombes allemandes rythmer son enfance : de là sa vison du monde sombre et apocalyptique. Son père, ingénieur, le pousse à vain à poursuivre des études. Michael Moorcock sera guitariste et chanteur de rock dans plusieurs groupes. Il aime aussi écrire et publie à 12 ans son premier texte dans un fanzine. À 18 ans il devient le rédacteur en chef de Tarzan Adventures, un magazine pour la jeunesse. En 1961 paraissent les premières aventures d’Elric suivies par celles de CorumHawkmoonErekosë, Jerry Cornelius qui vont faire de Moorcock le pape de l’heroic fantasy. Tous ses personnages sont les incarnations d’un seul et même antihéros archétypal : le Champion éternel, déstabilisé par la guerre sans merci de l’Ordre et du Chaos. Michael Moorcock fut également à la tête de la revue New Worlds et des auteurs modernes (1964-1969). Musicien, il fut plusieurs fois tenté d’y faire carrière, du blues au hard rock, mais son réel talent de conteur et des impératifs pécuniaires le ramenèrent chaque fois à son œuvre de fantasy.

Le Nomade du Temps :
1. Le Seigneur des airs (The Warlord of the Air, 1971)
2. Le Léviathan des terres (The Land Leviathan, 1974)
3. Le Tsar d’acier (The Steel Tsar, 1981)

Mon avis en 3 parties.

Tome 1 : Le Seigneur des Airs
Lu sous forme d’intégrale, j’ai fini ce tome 1.
Je préfère en faire un avis pendant qu’il est frais dans mon esprit, car le tome 2, que j’ai commencé, y sera sans doute davantage imprimé, tant il est « plus » dans tous les sens du terme.

Dans ce tome un, premier contact avec Bastable et ses aventures temporelles.
La mise en bouche est sympathique (mise en scène de « papi Moorcock », écriture à l’ancienne, j’ai bien apprécié), et pose le décor. Cependant, Bastable apparaît comme un personnage sérieux, même si porté sur l’opium, et assez peu charismatique. Son caractère est en phase avec ses aventures, peu communes, qui le perturbent et le laissent désemparé, voire impuissant.
C’est plutôt bien ficelé, du coup.

Moorcock en profite pour nous caser ses idées anticolonialistes et sur le racisme primaire accompagnant ledit colonialisme, ponctuant son récit de petites sentences bien senties comme j’aime, et son multivers multifacettes passionnant.

On a du mal à classer le roman dans un genre, entre steampunk, uchronie, fantastique, etc… Et j’aime beaucoup cette « inclassabilité », classique chez l’auteur, en fait, tant son imagination part dans tous les sens.
Je retrouve ici l’imagination du formidable Les Danseurs de la fin des temps. Y manque l’humour tragique de ce dernier, y manque l’humour tout court, en fait, c’est dommage, ça aurait ajouté un peu de légèreté à une ambiance plutôt lourde, équilibre parfaitement réussi dans l’autre trilogie…

C’est plutôt bien traduit, les personnages secondaires sont très intéressants, bien brossés, et on les recroisera plus tard, pour certains.

Vraiment un très bon moment de lecture, mais le second tome s’annonce encore mieux.

Tome 2 : Le Léviathan des terres
Après un tome un « plantant le décor » et nous décrivant Bastable perdu dans un monde steampunk avant l’heure du steampunk, en pleine révolution chinoise, et tentant de tirer son épingle du jeu, retour à la case départ du sieur en question, et atterrissage dans un monde pire que le premier…

Où l’on apprend que sévit un « Attila noir » qui a décidé de conquérir le monde, et ce afin de « se venger des blancs ».
Au début du livre, Papi Moorcock se lance en Chine (suite à la lecture de la première aventure, bien évidemment) à la recherche de « la vallée du Matin », où il pensait trouver Bastable. Qu’il ne trouvera point. Par contre, il trouvera une surprise l’attendant !
Et nous voilà embarqués dans le récit de la seconde aventure de Bastable, pris dans une guerre quasi mondiale, où seul un petit pays, l’Afrique du Sud, dirigé par Gandhi, incarne l’utopie d’un monde où tous vivraient en harmonie.

Et c’est reparti pour un tour d’aventures trépidantes, ça n’arrête pas une minute ! Commençant par sauver Una Persson d’une mort atroce au pays des sauvages (l’Angleterre, retombée en barbarie suite à l’utilisation d’armes bactériologiques qui ont décimé une grosse partie de la population, laissé le reste livré aux séquelles des maladies, aux pillages et tout ce qu’on peut imaginer de pire), il deviendra ensuite pirate, pour finir dans l’armée de Gandhi, utilisée en tant « qu’épouvantail » face à la menace du fameux Attila noir, Cicéro Hood de son petit nom (tiré de Cicéron et Robin Hood, si si !).

L’Attila, dont la réputation d’affreux tyran sanguinaire n’est plus à faire, débarque un jour en tant qu’invité au Cap, chez Gandhi. Exit les réputations, rumeurs et autres bruits de couloirs, voilà Bastable face à l’homme.
Fort de ce qu’il en a entendu dire, il va bien entendu commencer par être plutôt désagréable avec le bonhomme. Ce qui n’est pas très prudent, vous en conviendrez. Mais comme Moorcock n’aime pas le manichéisme, voilà qu’on découvre que, d’une part, cet homme censé détester les blancs a une épouse blanche, justement, et qui non seulement l’accompagne, mais le conseille énormément, et que, d’autre part, il est bien plus fin et moins primaire que sa réputation ne veut bien le dire.

Demandant à Gandhi que Bastable lui soit envoyé en ambassade (avec d’autres), il s’emploiera ensuite à convaincre celui-ci du bien-fondé de sa soif de conquête. Avec plus ou moins de succès.

C’est très bien écrit. Très bien vu aussi. Les hésitations et les doutes de Bastable, qu’on partage en tant que lecteur, sont normaux, cohérents et logiques. Il lui faudra côtoyer le pire pour comprendre. Et du pire, il y en a beaucoup dans ce second tome, bien plus que dans le premier.

Pas la moindre trace d’humour, à part peut-être dans les traits d’ironie du commandant Korzeniowski. Mais c’est tellement rare qu’ils surprennent, même. L’ambiance est lourde, pesante, on a parfois besoin d’oxygène et d’air frais, comme Bastable, mais on n’en trouve pas beaucoup.

Ces romans sont des plaidoyers contre le racisme, contre la violence, contre la stupidité, contre les petits chefs psychopathes et les grands tyrans, contre les pouvoirs liberticides des individus, bourrés de rêves d’utopie irréalisable, de rêves d’hommes et de femmes providentiels qui n’existeront jamais.
Ce n’est pas un grand livre, mais c’est un très bon livre. J’ai une immense tendresse pour cet auteur. Vraiment. Je l’aime beaucoup…

Tome 3 : Le Tsar d’acier
Ok ! my God ! Moins de 3 de moyenne sur Babelio pour ce tome 3 d’une formidable trilogie, et pas le moindre avis justifiant cela…
Pas aussi bonne que Les Danseurs de la fin des temps, mais quand même, on n’est pas si loin du meilleur de Moorcock.
Si on avait besoin d’une preuve que les gens n’aiment pas qu’on leur rappelle qu’ils sont responsables de leurs actes, en voilà une…

Moi qui ai accepté les miennes, de responsabilités, eh bien j’ai adoré ce dernier tome, bourré de remarques et de phrases sur les êtres humains, sur la manipulation, sur la responsabilité, tellement justes, tellement précises, tellement VRAIES, tout simplement, que ça en devient confondant.

En plus, Moorcock approfondit son multivers, ses croisements de personnages entre romans, c’est vraiment formidablement construit et cohérent.

Le tome reste très noir, même si la fin apporte un peu de légèreté à l’ensemble, mais c’est extrêmement pessimiste (ce que je partage, je ne crois plus à une possible rédemption de l’humanité, nous allons allègrement provoquer notre propre destruction). de fait, c’est une trilogie à ne pas lire quand on déprime, sous peine de s’enfoncer davantage…

Il y a bien sûr quelques défauts, la construction des trois tomes est assez répétitive (il n’y a pas de grande surprise). Mais du coup, le personnage de Djougavilitch est le pendant négatif du personnage positif de O.T. Shaw du premier tome. Dans plus ou moins les mêmes circonstances, Moorcock nous montre comment la différence de caractère et de moralité d’une seule personne, acceptée par les masses comme leader, peut amener à un résultat totalement différent. On ne peut pas s’empêcher de voir Hitler en premier lieu, mais encore plus sûrement Staline (ou Mao, ou bien d’autres…) dans ce Djougavilitch taré et terrifiant, avec son culte de la personnalité poussé à l’extrême…

Bref, un tome largement sous-noté ici (NdlR : sur Babelio)…

Cette trilogie va tout droit dans mes coups de cœur de l’année, même si elle a quelques défauts.

Note : 10 sur 10.

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